Gonçalo Amaral. Le policier portugais, qui suspectait les parents, s’est vu retirer l’enquête sur la disparition de la fillette anglaise. Une sanction qu’il peine à digérer.
Jamais une affaire n’a troublé son sommeil. Pas même
la mystérieuse disparition de la petite Maddie, introuvable depuis deux
ans. A l’époque, il était inspecteur de police à Portimão, dans le sud
du Portugal. A quelques kilomètres de la station balnéaire de Praia da
Luz, où la famille McCann passait ses vacances. Quand la fillette de 3
ans s’est volatilisée la nuit du 3 mai 2007, Gonçalo Amaral s’est
retrouvé en première ligne. Responsable des opérations de recherche. Et
propulsé sur les couvertures des magazines, à côté du joli minois de
l’enfant disparue. L’image de la petite fille blonde et de sa peluche
rose a fait le tour du monde. La médiatisation d’une ampleur inédite a
été savamment orchestrée par les parents, Gerry et Kate McCann, et leur
attaché de presse, embauché dès les premières heures.
Dans ce tourbillon d’émotions et d’images, le commissaire Amaral est
vite apparu comme un personnage clef de la dramaturgie. Une figure
controversée. Dès le début, les tabloïds britanniques ont glosé sur son
physique bedonnant, ses clinquantes lunettes Prada, son penchant pour
l’alcool et la sieste. Quand le flic s’est mis à suspecter les parents
de «simulation d’enlèvement» et de «dissimulation de cadavre», la presse s’est déchaînée.
On le rencontre deux ans plus tard. Dans un hôtel parisien, rue du
Faubourg Saint-Honoré. Il a changé. Moins de ventre et de cheveux. Il a
aussi rasé sa moustache, digne du gendarme de Saint-Tropez. Engoncé dans
son costume cravate, regard hagard derrière des sourcils épais, il
semble éteint. Embrumé par les deux à quatre paquets de Marlboro qu’il
consume chaque jour. «L’affaire Maddie l’a transformé, il est devenu triste», assure sa femme Sofia, qui ne le quitte pas d’une semelle. Du dynamisme pour deux.
Amaral est à Paris pour la sortie en France de son livre, vendu à 180
000 exemplaires au Portugal. Depuis l’affaire Maddie, il a quitté la
police. Le 2 octobre 2007, après cinq mois sans nouvelles de la petite
Anglaise, il est écarté de l’enquête par son supérieur. Vexé, il prend
sa retraite anticipée, à 48 ans. «On ne m’a pas retiré l’affaire pour incompétence mais pour un instant de laisser-aller», insiste-t-il. C’est-à-dire pour avoir critiqué les policiers britanniques, les accusant d’être manipulés par le clan McCann.
La police portugaise a d’emblée irrité la famille McCann. Manque de
professionnalisme, diront les uns, avec l’arrogance anglo-saxonne.
Méthodes de travail différentes, se défendront les autres. Entre les
deux parties, le fossé se creuse, l’incompréhension et la rancœur
prenant le pas sur l’échange. Le culte du secret entourant l’enquête
portugaise se heurte à la surmédiatisation orchestrée par les Anglais.
Le commissaire Amaral n’en démord pas : «Pourquoi prendre le risque
de publier la photo de cette enfant dès les premières heures, dans le
monde entier ? C’est bon pour paniquer l’éventuel kidnappeur qui peut
tuer l’enfant. Il faut travailler en silence. Au moins dans un premier
temps.» L’incompréhension mue ensuite en guerre des tranchées
quand, l’été suivant la disparition, les enquêteurs portugais émettent
l’hypothèse d’une simulation. Et si les parents étaient coupables ?
Suspecter officiellement les McCann, en les plaçant sous le statut
particulier d’arguidos («suspects officiels») : passionnée,
l’opinion publique britannique n’accepte pas. Elle crie au scandale.
C’en est trop, le commissaire Amaral saute. Aujourd’hui, il s’explique.
Voici sa thèse, brute de décoffrage : les parents sont responsables du
décès de leur fille. Accident domestique, mauvais traitements ou
meurtre. Qu’importe. «L’hypothèse politiquement correcte de l’enlèvement ne tient pas, assure-t-il. L’enfant est morte.»
Il articule sa démonstration autour de deux points phares. D’abord,
il y a ces traces de sang repérées par les chiens renifleurs dans la
chambre d’hôtel et dans la voiture louée par les McCann plus de vingt
jours après la disparition de l’enfant. «Les analyses montrent que le sang correspond en partie au profil ADN de Madeleine McCann». Ensuite, il y a les statistiques. «Les crimes d’enfants, y compris sexuels, sont commis par les parents dans 84 % des cas.» Pour lui, pas l’ombre d’un doute. Nous, on referme le bouquin comme on l’ouvre, sans aucune certitude.
Pourquoi cet homme a-t-il écrit ce livre ? Conviction ou obsession ?
Pugnacité ou acharnement ? Gagner du fric, en jouant le sensationnel ?
Il balaie les critiques d’un revers de la main. «C’est une question de valeurs, de justice et de vérité.» Aujourd’hui, l’ex-flic souhaite la réouverture de l’enquête pour «retrouver le corps de Maddie».
Et réhabiliter l’image de la police portugaise. La sienne aussi.
L’ex-inspecteur est inculpé pour faux témoignage dans une autre affaire
portant sur une enfant disparue, dont le corps n’a jamais été retrouvé.
Leonor Cipriano, la mère de Joana (8 ans), condamnée à seize ans de
prison, affirme avoir avoué le meurtre de sa fille après avoir été
battue par les policiers chapeautés par Amaral, qu’il aurait ensuite
couverts. Sans sourciller, il voit là une nouvelle tentative de
déstabilisation.
Gonçalo Amaral fait partie de ces gens d’une intelligence glaçante,
qui surprend, intimide et déconcerte. Pas de place, même infime, pour la
compassion, l’émotion ou toute forme d’affect. Pour lui, les parents de
Maddie (et leurs amis) sont coupables d’avoir laissé leurs enfants
seuls sans surveillance dans leur chambre pendant qu’ils dînaient au
restaurant de l’hôtel. Sans pitié, il lâche : «Ils devraient être
punis pour ça. Le devoir des parents est de surveiller leurs enfants.
Pensez-vous qu’une gamine de 3 ans soit en sécurité, seule dans une
chambre ? Il peut lui arriver n’importe quoi : un accident électrique ou
je ne sais quoi, sans même parler d’enlèvement.» Gonçalo Amaral a, lui, trois filles au compteur, de deux mariages. «C’est un papa très relax. Avec lui, les enfants ont tous les droits», affirme sa femme Sofia.
Dans son livre, Amaral évoque sa plus jeune fille Inès, du même âge que Maddie. «La même en brune.» Pas
un mot en revanche de son enfance au nord de Lisbonne, avec ses cinq
frères et sœurs, sa mère au foyer et son père ouvrier. Il ne raconte pas
non plus comment il est entré dans la fonction publique comme simple
agent, à 14 ans, «parce qu’à l’époque, c’était possible».
Parcours parsemé de cours du soir, pour gravir les échelons jusqu’à ce
poste de coordinateur du département d’investigations criminelles de la
police judiciaire de Portimão. Hormis l’affaire Maddie, il a traité des
affaires délicates, notamment liées à des trafics de drogue. «Ce travail, c’était sa vie. Arrêter a été une profonde déchirure»,
dit sa femme. Il a bien essayé de rebondir en politique. Il voulait se
présenter aux élections municipales d’octobre 2009 à Olhão, pour le
Parti social-démocrate (formation de centre-droit). La présidente du
parti a refusé «par crainte d’un mélange des genres politique-justice». Alors, il a entrepris un autre livre, sur d’autres affaires de police. La page reste à tourner.