Diffamation n'est pas injure. La seconde qualifie toute expression outrageante, terme de mépris ou invective n'imputant aucun fait, à la différence de la première. Ainsi dire que M. X est un salaud est une injure, alors que dire que M. X est un salaud parce qu'il vit aux crochets de sa femme et n'hésite pas à lui faire les poches est une diffamation.
Toute personne mise en cause dans son honneur et sa réputation peut porter plainte pour diffamation. Le défendeur peut recourir à deux moyens de défense (au civil) : l'exception de vérité (production d'éléments prouvant la réalité des faits allégués) ou la démonstration de bonne foi, qui exige d'avoir été prudent dans l'expression et de n'avoir pas trahi d'animosité personnelle. Peu importe qu'il soit ou non journaliste, l'égalité devant la loi est entière.
Georges Brassens - Les trompettes de la renommée
L'exception de vérité est une disposition (article 35/al.6) de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 dont peut se prévaloir un prévenu auquel sont imputés des faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne : la réalité des faits à l'origine de la poursuite en diffamation peut l'exonérer de sa responsabilité. Mais si les faits sont prescrits ou correspondent à une infraction amnistiée, l'exception de vérité devient caduque, l'objectif étant de préserver le droit à l'oubli et par conséquent de protéger la victime de dommages pires que la diffamation. Reste à celui qui poursuit en diffamation de démontrer sa bonne foi (légitimité du but poursuivi, absence d'animosité, prudence dans l'expression, enquête préalable sérieuse, tâche infiniment plus délicate que de présenter des éléments factuels.
En France, la victime d'une diffamation (ou d'une injure) ne dispose que de 3 mois (à compter de la date de la publication litigieuse) pour porter plainte contre l'auteur des faits. La loi sur la liberté de la presse (article 65) a instauré une procédure dérogatoire aux principes fondateurs du droit français dans l'intérêt de la liberté de la presse. Cette procédure oblige les victimes de diffamation à agir sans tarder.
Toutefois le délai de prescription des délits de presse les plus graves est plus sévère. L'article 65-3 de 1881 le porte à un an pour les délits liés au racisme ou à toute espèce de discrimination et au négationnisme.
La résolution 1577
adoptée en octobre
2007 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe va dans le
sens d'une dépénalisation de la diffamation. Si l'Assemblée reconnaît
que les législations contre la diffamation visent légitimement à
protéger la réputation et les droits d'autrui, elle demande aux États
d'y recourir le moins possible afin de ne pas nuire à la liberté
d'expression, fondement de la démocratie. Des garanties procédurales
doivent permettre aux accusés d'apporter la preuve de la véracité de
leurs déclarations.
Mais s'il s'avère que, présentant un intérêt public, elles étaient
inexactes sans que l'accusé ait pu en avoir connaissance, elles ne
doivent pas être passibles de sanctions, en l'absence d'intention de
nuire.
Dans cette résolution, l'Assemblée déplore l'usage abusif, dans certains États, des
poursuites pour diffamation, une forme particulièrement insidieuse d'intimidation,
dénonce l'autocensure qui en découle, réduisant à peau de chagrin le
débat démocratique et la circulation des informations d'intérêt général.
Elle demande l'abrogation des peines carcérales (sauf en cas d'appel à
la violence et à la haine) et la modération en fait de dommages et
intérêts, rappelant qu'une indemnité d'une ampleur disproportionnée peut
aussi violer l'article
10 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme. Le
droit civil doit apporter une protection
effective de la dignité de la personne affectée par la diffamation.
Quand à la personne poursuivie pour diffamation, la législation doit lui
garantir des moyens de défense appropriés, en particulier l'exceptio veritatis et l'intérêt général, la France étant invitée à amender ou à abroger l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 (voir ci-dessus).
Faudrait enfin qu'on me réponde,
Qu'on me convainque, qu'on me rassure,
Que je n'suis pas le seul au monde
A vouloir qu'un jour on censure...
La Censure!
Qu'on me convainque, qu'on me rassure,
Que je n'suis pas le seul au monde
A vouloir qu'un jour on censure...
La Censure!
Liberté de la presse et protection du secret des sources
L’article premier de la loi du 29 juillet 1881, désignée comme loi sur la liberté de la presse, fondamentale pour la pratique du journalisme en démocratie, dit sobrement mais de manière édifiante : L’imprimerie et la librairie sont libres. Déclaration sans restriction, donc impressionnante.
La loi du 4 janvier 2010, venue modifier la loi de 1881 en consacrant le droit pour les journalistes à la protection de leurs sources, a permis à la France de se conformer à la jurisprudence de la CEDH (en 50 questions). La justice ne pourra désormais rechercher l'origine d'une information que lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.
"Le secret des sources, écrit Fabrice Arfi, qui déclare que son travail consiste à mettre sur la table des informations d’intérêt public qui nourrissent la conversation démocratique. Point barre, a été inventé pour protéger ceux qui, parfois, violent la règle de leur profession, voire la légalité du droit, pour alerter un journaliste. On doit protéger en démocratie cette liberté-là, qui est désormais consolidée par une jurisprudence française mais surtout européenne très complète. La CEDH est, de ce point de vue-là, un grand défenseur de la liberté d’informer, qui doit être distinguée de la liberté d’expression. Si on devait abîmer cette liberté, alors cela voudrait dire que le journalisme serait condamné à n’être que le relais de la communication officielle. Ce serait donc la fin du journalisme.
Les journalistes bénéficient de garanties nouvelles pour les perquisitions dont ils pourraient faire l'objet (présence d'un magistrat, possibilité de s'opposer à la saisie de documents, arbitrage du juge des libertés). Entendus comme témoins, ils peuvent refuser de révéler leurs sources non seulement devant le juge d'instruction mais aussi devant le tribunal correctionnel et la cour d'assises.
Selon Emmanuel Pierrat, la France est de très loin le plus restrictif des pays européens :
Je vais chaque année à la grande foire du livre de Francfort, en Allemagne. Compte tenu des barrières que met la France à la liberté d'expression sur les questions de religion, de race, de sexe, etc., il est absolument certain qu'un livre relu par un avocat français est garanti "vendable" dans 90 % des pays au monde. C'est loin d'être le cas lorsque les clients français achètent des documents étrangers. Jusqu'à il y a quelques années, d'ailleurs, un texte en langue étrangère publié en France devait recevoir avant publication l'accord du ministère de l'Intérieur - en vertu d'un texte voté pour lutter contre les indépendantismes corses, basques, bretons, etc. Là encore, c'est la CEDH qui a conduit à son abrogation.
Jurisprudence/Diffamation - Décisions de justice
La loi, mesure dissuasive, soumet toute poursuite en diffamation au dépôt d'une plainte par la victime. Pour sa défense, la personne poursuivie doit apporter la preuve de la vérité des faits ou celle de sa bonne foi (l'article 55 en précise la forme). Si la preuve est apportée, le défendeur échappe théoriquement à toute condamnation, à moins que ne soient prouvées la mauvaise foi et l'intention de nuire.
Lorsque la diffamation est constatée, son auteur est condamné à réparer le préjudice en versant des dommages et intérêts à la victime. Si des poursuites pénales ont été engagées, elles peuvent se solder par une amende allant de 12.000 à 22.500 euros, assortie de 6 mois d'emprisonnement dans les cas les plus graves.
Note : S’agissant du contenu diffamatoire ou injurieux mis en ligne, une loi de 2004 avait instauré un point de départ du délai de prescription spécifique pour l’Internet : le délai ne commençait à courir qu’à compter de la suppression totale de la diffusion en ligne. Mais le texte fut censuré par le Conseil constitutionnel. Les sages ont vu d’un mauvais œil la différence de régime entre presse écrite classique et presse en ligne.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme estime que la liberté d'expression l'emporte toujours sur le droit au respect de la vie privée et sur le droit à l'oubli, lorsque les propos poursuivis pour diffamation visent à développer un sujet d'intérêt général ou un débat d'actualité. Certes les propos excessifs, outranciers et empreints d'animosité ne sont pas tolérés mais, si la mesure est respectée et les propos fondés, la poursuite d'un objectif d'information, de réflexion ou de débat sur un sujet d'intérêt général augmente le seuil de tolérance de la liberté d'expression et est pris en compte dans l'appréciation des imputations diffamatoires. La Cour européenne, une des juridictions qui ont le plus fortement résisté aux dérives du Patriot Act, se rapproche du Premier Amendement de la Constitution des EUA. Reste à développer par exemple le droit de réponse.
Richard Brooks - Deadline USA
Dans le célèbre arrêté Handyside (7 décembre 1976), portant sur une affaire de presse en Grande-Bretagne, la CEDH a réaffirmé l'importance du droit à l'information en ces termes :
La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique.
Le droit à l'oubli n'a pas la même place dans la hiérarchie des normes que la liberté d'expression. Le premier n'a que valeur législative tandis que la seconde a valeur constitutionnelle. Il doit donc céder devant elle. Il faudra toutefois discriminer avec une certaine précision entre l'étalage malfaisant pour satisfaire un but personnel et ce qui intéresse le public en général et doit être porté à la connaissance de tous.
L'article 6-1 de la CESDHToute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
C'est la violation de
ce droit à un procès équitable (en particulier dans un laps de
temps décent) qui motive la moitié des affaires portées devant la
CEDH. L'exigence de respect du délai raisonnable vise toutes les
phases de la procédure judiciaire. Mais le droit à un procès
équitable est parfois évoqué sous le chef du droit au silence.
Roselyne Letteron remarque que la Cour européenne des droits de
l'homme a importé ce droit originaire de la Common Law
(états-unienne) dans des systèmes juridiques européens auquel il
était étranger, ce qui ne va pas sans susciter des difficultés.
Conflit de
normes : article 10 vs article 8 - CESDH
Le droit à la liberté
d'expression est mis en balance avec le droit au respect de la vie
privée et familiale.
L'article 8 protège
les droits de la personne des ingérences de l'État, mais il peut
aussi être invoqué si l'ingérence provient d'une personne privée
lorsque l'État a failli à son obligation d'assurer le droit au
respect de la vie privée.
Ainsi un propos jugé
diffamatoire lors de sa publication et ayant fait l'objet d'une
poursuite soldée par des excuses doit-il purement et simplement
disparaître ? Ou faut-il que le droit d'être informé éclipse au
contraire le droit à la vie privée ? Le document n'est-il pas une
archive et n'est-il pas de l'intérêt légitime du public d'y avoir
accès ? Le droit des chercheurs doit-il nonobstant supplanter le
droit à la vie privée ? Celui-ci ne serait pas bafoué si la
condamnation du propos pour diffamation était mentionné lors de
toute consultation de l'archive.
L'atteinte à la vie
privée est envisagée selon plusieurs critères : notoriété et
comportement de la "victime" (bien que la loi doive être
la même pour tous - article 6 de la DDHC), circonstances et
objectifs des éléments en cause, pertinence pour le débat
d'intérêt général, critère qui tend à écarter les autres.
Il appartient au juge
de dégager un équilibre entre des droits antagonistes qui ne sont
ni absolus, ni hiérarchisés entre eux, étant d'égale valeur dans
une société démocratique. Deux points importants :
. Le droit à
l'information du public peut primer sur le droit à la vie privée.
. Une personne publique
ne peut prétendre à la même protection de la vie privée qu'un
simple quidam. Il y aussi le cas des figures publiques à finalité limitée, autrement dit de ceux qui se jettent eux-mêmes sur le devant de la scène dans des controverses particulières publiques afin d'influencer la résolution des questions en jeu. Voir Aaron Larson, Defamation, Libel and Slander Law.
Il s'ensuit que si le
droit au respect de la vie privée est protégé par l'article 9 du
CC (chacun a droit au respect de sa vie privée) et par l'article 8
de la CESDH (toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance), cette protection
doit composer avec le droit à l'information du public et le droit à
la liberté d'expression, à l'abri de l'article 10 de la même
Convention.
On sait du reste que
certaines célébrités monnaient auprès d'une certaine presse des
photos de famille, donc privées, et poursuivent pour dommages et
intérêts les tabloïds qui les ont publiées sans autorisation.
Même si les limites
de la critique admissible sont plus larges envers les personnes
chargées de fonctions officielles, l’article 10 de la Convention
ne garantit pas une liberté d’expression sans limites même quand
il s’agit d’aborder dans la presse d’importantes questions
d’intérêt général. L'exercice de cette liberté comporte
évidemment des devoirs et responsabilités, comme éviter de porter
atteinte à la réputation d'autrui de mettre en péril ses droits.
La protection que constitue l'article 10 pour qui rend compte de
questions d’intérêt général est subordonnée à la condition de
la bonne foi, de l'exactitude et de la pertinence d'informations
adossées à des sources fiables.
Quid alors de la liberté de création ?
La liberté de création est établie, reconnue et limitée, mais la liberté de création n'est envisagée par aucun texte de loi, hormis l'article 27 de la DUDH, qui protège l’œuvre d'art et l'accès du public à celle-ci. Mais qui est habilité à en juger et selon quels critères un tant soit peu objectifs ou du moins non arbitraires ?
En quoi la vie privée et le droit à l'image peuvent-ils limiter cette liberté-là, précieuse entre toutes?
Où irait le monde sans elle ?
La liberté de création est établie, reconnue et limitée, mais la liberté de création n'est envisagée par aucun texte de loi, hormis l'article 27 de la DUDH, qui protège l’œuvre d'art et l'accès du public à celle-ci. Mais qui est habilité à en juger et selon quels critères un tant soit peu objectifs ou du moins non arbitraires ?
En quoi la vie privée et le droit à l'image peuvent-ils limiter cette liberté-là, précieuse entre toutes?
Où irait le monde sans elle ?